13 novembre 1951, crash dans le massif du Sancy

Si l’accident du téléphérique du Sancy, survenu le 25 décembre 1965, a marqué localement les mémoires avec un lourd bilan de 7 morts et 19 blessés, la catastrophe la plus meurtrière survenue dans le massif reste celle du crash d’un avion militaire américain sur le plateau de Durbise le 13 novembre 1951 avec 36 morts. Point de monument commémoratif sur les lieux pour rendre hommage aux nombreuses victimes, néanmoins les archives militaires américaines aujourd'hui déclassifiées et la presse de l'époque permettent de reconstituer la chronologie de cet évènement.


Surnommé le «wagon volant», l’avion en question, un C-82A Packet de l’US Air Force immatriculé CQ-801, était un cargo bimoteur avec un fuselage bi-poutre, construit par la compagnie Fairchild Aircraft. 223 exemplaires ont été assemblés entre 1944 et 1948, avant que le modèle ne soit retiré du service de l’US Air Force en 1954. Ce type d’aéronef était destiné principalement au transport de fret et de troupes ainsi qu’à l'évacuation sanitaire, notamment lors de la guerre de Corée. Sa capacité de charge était de 42 soldats ou 8,16 tonnes de fret.

C-82A CQ-801
C-82A CQ-801
C-82A CQ-801

L’avion accidenté le 13 novembre 1951 appartenait au 11th Troop Carrier Squadron (Escadron de transport de troupes), unité rattachée au 60th Troop Carrier Group de l’US Air Force positionné sur la base aérienne de RHEIN-MAIN, dans la région de FRANCFORT, en Allemagne de l’Ouest. Chargée du transport de troupes, de fournitures et d’équipements militaires, cette unité s’est distinguée en prenant une part active au pont aérien lors du blocus de BERLIN en 1948.

Mardi 13 novembre 1951

À l’occasion d’un vol régulier à destination de BORDEAUX-MÉRIGNAC (33), 32 passagers (29 aviateurs rejoignant leur nouvelle affectation au 126th Bombardment Wing afin d’établir un pool automobile, outre le caporal Edward G. DAVILA revenant de permission en Allemagne, et deux militaires du 2nd Air Postal Squadron) prenaient place à bord du C-82, composé d’un équipage avec quatre personnels : le pilote captain Raphael F. BAIRD, le co-pilote 2nd lieutenant Roy W. FINCK, le mécanicien navigant technical sergeant Francis F. FOX et l’opérateur-radio sergeant Donald E. GRIFFITH. Huit des passagers et membres d’équipage étaient des vétérans de la seconde guerre mondiale.


L’avion décollait de la base aérienne de FRANKFURT-RHEIN-MAIN à 09h25 pour un vol d’une distance de 560 miles (901,23 km). Après le survol de la région de STRASBOURG, un contact radio était établi à 11h08 avec un contrôleur aérien à DIJON. Le dernier contact radio était constaté à 11h45 lors du survol de CORBIGNY (58).


Le briefing météo avait fait état de mauvaises conditions météorologiques (nuages épais, visibilité limitée, vent venant du nord signalé jusqu’à 30 nœuds) dans le centre de la France. Aussi, le pilote avait décidé d’effectuer son vol en mode IFR (vol aux instruments) à l’altitude de 6000 pieds (1828,8 m) au lieu de 8000 (2438,4 m).


Alors que l’atterrissage était prévu à MÉRIGNAC à 13h15, la disparition de l’aéronef était signalée à épuisement théorique de la réserve de carburant, soit à 17h25. Le dispositif de recherches SATER, créé trois ans auparavant, était aussitôt activé.


Sur le massif du Sancy était rapportée ce jour-là la présence d’une tempête de neige et d’un voile blanc complet.

Mercredi 14 novembre 1951

36 avions (plusieurs bombardiers B-29, 22 appareils C-82, 5 Douglas C-47, 2 hydravions Grumman SA-16 Albatross, etc.) venant notamment du 9th Air Rescue Squadron de WIESBADEN arrivaient sur le terrain d’aviation de BRON (69) pour participer aux recherches. Quatre hélicoptères armés d’infirmiers parachutistes étaient placés en alerte.


Plusieurs appareils français (dont deux bombardiers Lioré et Olivier LeO 451) venant d’ISTRES (13) étaient également positionnés en alerte sur le terrain d’AULNAT (63).


Au total, près de 70 avions et hélicoptères français, anglais et américains étaient mobilisés dès l’aube du 14 novembre sur un couloir de 70 km de large et ce, entre DIJON et l’océan Atlantique au large de la côte de la Gironde.


Ils étaient placés sous l’autorité du captain Marshall Vernon FREDRICKSON. Le captain COPENHAVER assurait la liaison entre les équipes de sauvetage et le commandement de l’US Air Force.


Prenaient également part aux recherches une centaine de gendarmes, des skieurs de la Fédération Française de Ski, des guides du Club Alpin Français et des montagnards du massif.


Un brouillard persistant était constaté sur les Monts-Dore. Pour autant des vérifications étaient menées sur la piste d’atterrissage de l’ancien centre national de vol sans moteur de la Banne d’Ordanche.


Les recherches se précisèrent avec la découverte par un habitant du hameau de Voissière (commune de CHAMBON-SUR-LAC), Antoine COUGOUL, d’un morceau de papier à demi calciné, un «Air Training Certificate» daté du 17 mars 1951 attribué au corporal Ernest GLINGENER Jr., passager inscrit sur le manifeste de vol du C-82. De même des habitants et des ouvriers travaillant sur un chantier sur la commune de BEAUNE-LE-FROID avaient signalé avoir entendu des bruits de moteur d'avion au cours de l’après-midi du 13 novembre.

Jeudi 15 novembre 1951

Le ciel étant désormais totalement dégagé, les recherches reprenaient avec davantage d’intensité. Dès 08h25, le capitaine Georges RUBY (chef du centre de radio des Landais à AUBIERE), le capitaine Albert BANNES et le sergent BUREAU à bord d’un appareil Nord 1100 Noralpha repéraient l’épave de l’avion écrasée à environ 1500 mètres d’altitude (5000 pieds) sur le plateau de Durbise. Située sur la commune de CHAMBON-SUR-LAC, cette plaine, en légère pente à l’endroit du crash et exposée nord-est, était surmontée par le Roc de Cuzeau (1737 mètres d’altitude) et surplombait le col de la Croix-Saint-Robert situé à 1451 mètres d’altitude. La lande désolée était recouverte par un demi-mètre de neige.


L’équipage du Nord 1100 communiquait aussitôt les coordonnées de l’avion («453325 North, 025030 East») au quartier général des sauveteurs établi en contrebas dans le village de Moneaux (commune de CHAMBON-SUR-LAC).


Dans le même temps se trouvaient un groupe de six gendarmes de la brigade d’ISSOIRE près du Roc de Cuzeau et une cordée de pompiers du MONT-DORE et de CHAMBON-SUR-LAC en progression vers le col de la Croix Saint-Robert. Ils étaient rejoints par un détachement du 92ème régiment d’infanterie et une compagnie républicaine de sécurité, ainsi que par Marcel GODARD, chef de la police de CLERMONT-FERRAND et en début d’après-midi par une dizaine de sauveteurs de l’US Air Force.


Le C-82 était découvert disloqué sur une cinquantaine de mètres, les moteurs enfoncés dans le sol, et sa cabine principale calcinée par un incendie. Il restait identifiable notamment grâce à ses dérives jumelles caractéristiques.

crash C-82
crash C-82

Aucun survivant ne pouvait être secouru, 33 hommes ayant été tués sur le coup en raison de la violence de la décélération et du fait qu’ils n’avaient pas utilisé leurs ceintures de sécurité (seul le co-pilote FINK avait été retrouvé sanglé sur son siège). Deux hommes avaient été éjectés à deux mètres du cockpit (captain John J. FITZGERALD et sergeant Donald E. GRIFFITH). Le pilote BAIRD était parvenu à ramper sur quelques mètres, avec les deux chevilles fracturées et un traumatisme crânien, avant de succomber. La cartouche rouge d’une fusée d’alerte était retrouvée à ses côtés.


Les corps étaient affreusement mutilés ou brûlés et recouverts par une dizaine de centimètres de neige. L’heure exact de l’accident (12h05) était fixée au moyen des montres arrêtées des victimes. Il apparaissait que l’avion avait dévié de 8° à gauche de son plan de vol depuis la région de DIJON pendant deux heures, soit de 50 miles (80 km) au sud.

crash C-82
crash C-82

Des civières et traineaux étaient parachutés à proximité du site par deux appareils C-82. Un  détachement de l’US Air Force et trois gendarmes restèrent sur place la nuit afin d’assurer la protection des lieux par -15°.

Vendredi 16 novembre 1951

La journée était consacrée au découpage de l’enchevêtrement de ferraille au chalumeau. 22 corps étaient transportés sur des civières et rassemblés sous une tente dressée au col de la Croix Saint-Robert. L’abbé BRIGAUD, curé du MONT-DORE, procédait à une bénédiction des corps qui étaient ensuite descendus par camion et déposés dans une chapelle ardente dressée dans un chalet en bois de CHAMBON-SUR-LAC. Les murs avaient été recouverts de draps blancs par les femmes du village et un autel avait été mis en place, surmonté des drapeaux américains et français et celui des anciens combattants de la commune.

crash C-82
crash C-82

Samedi 17 novembre 1951

Les 10 derniers corps étaient désincarcérés et descendus au CHAMBON-SUR-LAC.

Dimanche 18 novembre 1951

Une cérémonie avait lieu à 13h30 au col de la Croix-Saint-Robert en présence des maires et des conseils municipaux de CHAMBON-SUR-LAC et de MUROL, d’une délégations d’anciens combattants et des pompiers. Une absoute était prononcée par l’abbé Jean DAVID, curé de MUROL en présence du préfet du Puy-de-Dôme Pierre-Henri RIX, du sous-préfet d’ISSOIRE et de personnalités américaines et françaises.


Les 36 corps étaient ensuite transportés par camions à la base aérienne d’AULNAT où avait lieu un dernier hommage par les autorités. L’évêque Gabriel PIGUET prononçait la prière des morts et bénissait les cercueils, avant que ne retentissent la sonnerie aux morts et les hymnes interprétés par la fanfare du 92ème régiment d’infanterie. Les cercueils étaient embarqués dans quatre avions C-82 de l’US Air Force arrivés la veille à AULNAT et qui décollaient à 15h00 pour FRANCFORT, avant de rejoindre quelques jours plus tard les Etats-Unis. 


Les semaines suivantes, l’US Air Force réalisait une enquête sur la cause de l’accident et parvenait à identifier l’ensemble des corps, l’identification ayant été rendue complexe par le fait que les passagers avaient avec eux leurs dossiers administratifs et médicaux qui furent consumés dans l’incendie.


L'évènement fut largement relayé dans la presse nationale française et américaine.

article presse crash C-82
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article presse crash C-82
article presse crash C-82
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article presse crash C-82
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article presse crash C-82
article presse crash C-82
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L’ambassadeur des Etats-Unis à PARIS et le consul à LYON transmirent aux autorités locales des lettres de gratitude à destination des civils et militaires ayant contribué à la recherche et à la découverte de l’avion.


Les 36 morts furent décorés à titre posthume de la médaille du service de la Défense nationale (NDSM), distinction créée par le président Dwight D. EISENHOWER en 1953.

médaille NDSM

Pire accident de ce modèle d’avion, le rapport établi par le conseil d’enquête de l’US Air Force a conclu à une erreur de pilotage, associée à un réglage incorrect de l’altimètre et à la mise en œuvre de procédures de vol et radio erronées. Le rapport précisait que lors de la découverte de l’avion, son tableau de bord était intact. L’analyse des instruments de vol a confirmé une assiette de vol normale, l’absence de panne moteur ou d’incendie à bord avant le choc et un régime de croisière conforme.

Liste des 36 victimes:

Membres de l’équipage:

Captain Raphael Francis BAIRD (Pilot 11th TCS) né le 09/07/1921 - Etat de Georgie


Second lieutenant Roy William Adolph FINCK (Copilot 11th TCS) né le 09/02/1924 - Etat du Missouri


Technical sergeant Francis Frederic FOX (Engineer) né le 17/07/1919 - Etat du Michigan


Sergeant Donald Edward GRIFFITH (Radio Operator) né le 04/04/1930 - Etat de Floride

Passagers:

Staff sergeant Merton Ralph BOARDMAN (86th Supply Squadron) né le 10/03/1927 - Etat du Vermont


Private first class Samuel Simon BRUINGTON Jr. (2nd Air Postal Squadron) né le 29/04/1930 - Etat de New Jersey


Private first  class Joseph Harold CALFEE (85th Motor Vehicle Squadron) né le 13/09/1930 - Etat de l'Alabama


Private first class William Cooper «Bill» CLICK (60th Motor Vehicle Squadron) né le 07/06/1931 - Etat du Tennessee


Corporal Edward Gutierrez DAVILA (529th Trans Base Depot) né le 06/12/1928 - Etat de Californie


Sergeant Ramon Laverne DEKEN (36th Motor Vehicle Squadron) né le 17/08/1931 - Etat du Michigan


Corporal Leonard Richard DEL VECCHIO (86th Supply Squadron) né le 04/06/1928 - Etat de New York


Corporal William A. DICKERSON Jr. (86th Motor Vehicle Squadron) né le 16/07/1925 - Etat de New York


Staff sergeant John H. DUKE (7150th Motor Vehicle Squadron) né le 30/11/1918 - Etat de Louisiane


Private first class David Edgar EDIE (60th Motor Vehicle Squadron) né le 14/06/1925 - Etat de New York


Technical sergeant Wilson Collin EDMONDSON (7150th Motor Vehicle Squadron) né le 25/11/1912 - Etat du Texas


Private first class Milo Wayne FELGER (36th Motor Vehicle Squadron) né le 30/11/1930 - Etat de l'Ohio


Captain John Joseph FITZGERALD (2nd Air Postal Squadron) né le 20/06/1917 - Etat du Massachusetts


Corporal Ernest GLINGENER Jr. (36th Motor Vehicle Squadron) né le 26/05/1930 - Etat de New Jersey


Private first class Arthur Frederick GRABER (36th Motor Vehicle Squadron) né le 17/10/1929 - Etat de Pennsylvanie


Corporal Jack Manin GREATHOUSE (602D Aircraft control and warning squadron) né le 14/10/1930 - Etat de l'Ohio


Private first class Charles L. GREGORY (86th Motor Vehicle Squadron) né le 16/10/1932 - Etat de Virginie


Private first class Newton Mitchell HENSON Jr. (60th Motor Vehicle Squadron) né le 09/01/1922 - Etat de l'Arkansas


Private first class Hubert JOHNSON Jr. (7150th Motor Vehicle Squadron) né le 30/08/1933 - Etat du Missouri


Sergeant Stanley Valentine KRUSHAS (7150th Motor Vehicle Squadron) né le 14/02/1929 - Etat de l'Indiana


Corporal Freddie LEWIS (7150th Motor Vehicle Squadron) né le 26/08/1929 - Etat de Georgie


Sergeant Richard William LEWIS (36th Motor Vehicle Squadron) né le 28/03/1930 - Etat du Dakota du nord


Corporal Judson Enloe MILLER (85th Motor Vehicle Squadron) né le 20/12/1927 - Etat du Montana


Staff sergeant Horace Alvatis PATTERSON (86th Motor Vehicle Squadron) né le 11/06/1916 - Etat de l'Alabama


Sergeant Harold Ray POWELL (7360th Base Complement Squadron) né le 22/06/1928 - Etat de l'Alabama


Staff sergeant Vinson ROYAL (36th Motor Vehicle Squadron) né le 29/05/1925 - Etat du Texas


Staff sergeant Vinson ROYAL (36th Motor Vehicle Squadron) né le 29/05/1925 - Etat du Texas


Sergeant Walter Edward SCHUETTE Jr. (86th Supply Squadron) né le 08/01/1929 - Etat de l'Iowa


Private first class Kenneth E. SHOEMAKER (36th Motor Vehicle Squadron) né le 23/11/1932 - Etat de l'Illinois


Private first class Frank A. STANKIEWICZ (60th Motor Vehicle Squadron) né le 06/06/1927 - Etat de Pennsylvanie


Sergeant Earl C. SYKES Jr. (7360th Base Complement Squadron) né le 14/08/1927 - Etat de Louisiane


Corporal Cesario VERDE (7031st Maintenance & Supply Squadron) né le 18/03/1929 - Etat de New York


Corporal Charles G. WEST (7360th Base Complement Squadron) né en 1929 - Etat de Louisiane







Sources:

Archives de l’US Air Force (Michael T. STOWE) Accident-Report.Com


Archives départementales du Puy-de-Dôme (fonds photographiques des Renseignements généraux de Clermont-Ferrand)


Simon D. BECK, Fairchild C-82 Packet, The military and civil history, McFarland & Company, Inc., Publishers, 2017


Giorgio SALERNO


Presse nationale et régionale (L’Aurore, Le Monde, Paris Presse, La Montagne, La Bourgogne républicaine, L’Auvergnat de Paris, Le Semeur, Ce soir, La Croix, La Gazette provençale, Beaune-informations, L’Echo nogentais, The Daily Alaska Empire, The Evening Star, The Ohio Daily Express, The Sunday Star, The Winona Republican-Herald, Washington Journal, Waycross Journal-Herald, El Sol)








Thibault FOURIS