Léger FOURIS (1895-1944)

et les évènements du 13 octobre 1943

dans la région de Singles (63)


 

Fils légitime de Pardoux FOURIS, cultivateur originaire du village de Perret (commune de Singles), et d’Antoinette BERNARD, Léger Camille Jean FOURIS est né le 22 novembre 1895 dans le hameau de Pallut à Saint-Donat (63), commune de naissance de sa mère.La fratrie se compose également de Blaise, né le 3 février 1894 à Saint-Donat, et de Alice, née le 13 septembre 1902 à Singles.

Marié à Jeanne Antoinette SAUVAT le 29 janvier 1916 à Singles puis veuf, Léger FOURIS se marie en secondes noces avec Anna Marguerite RANVIER (dite Antonine) le 24 avril 1920 à Singles. Celle-ci est née le 7 avril 1901 à Arpiat (commune de Port-Dieu) de Jean RANVIER, employé des mines de Singles, et de Marie SAUVAT et exerce la profession de débitante à l'Hôtel des mineurs de La Guinguette. Deux filles sont issues du couple : Raymonde née le 21 mars 1924 (mariée en 1945 à André POCHEBONNE, décédée le 29 juin 2021) et Renée le 29 janvier 1928 (mariée à Michel LHUILLIER, décédée en novembre 2013). Un fils est né de la précédente union : Jean (né le 2 février 1915, époux de Marie-Louise COUSTEIX, de Serre, décédé en 1975).

De la classe 1915, Léger FOURIS est incorporé le 18 décembre 1914 au 126ème régiment d'infanterie de Brive-la-Gaillarde et ce, jusqu'à sa démobilisation le 17 septembre 1919 ; il est promu caporal le 21 mai 1916 puis sergent le 16 février 1919. Il prend part à la bataille de Verdun successivement dans les secteurs de l'Est de Charny, de Thiaumont, du Bois Nawé, du ravin des vignes et de la citadelle de Verdun du 8 avril au 17 juin 1916. Le 27 mars 1917, il est blessé par éclat d'obus à Aubérive-sur-Suippe (51). Il est cité à l'ordre du régiment le 17 novembre 1918 comme « très bon caporal grenadier, ayant fait ses preuves dans les différents combats où son unité a été engagée ; le 24 octobre 1918, s'est très bien comporté lors de la dernière contre-attaque en maintenant son escouade dans la tranchée toute bouleversée par l'artillerie lourde ennemie » et reçoit à ce titre la croix de guerre avec étoile de bronze. Lui est également conféré le droit au port individuel de la fourragère aux couleurs de la croix de guerre 1914-1918.

Retiré comme marchand de vins en gros et tenancier de café à La Guinguette, Léger FOURIS est élu maire de Singles en mai 1929 ; il est réélu en 1935 et maintenu en fonction en 1940. Du 7 juillet 1929 jusqu’en 1943, son adjoint est Jean-Pierre BATTUT. L’instituteur Raymond LELEU occupe la place de secrétaire de mairie. Son épouse Gabrielle, également institutrice, le remplace pendant sa mobilisation puis sa captivité en Allemagne.


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La commune de Singles est située à l'écart des grands axes routiers ; seules des routes sinueuses permettent d'accéder au bourg. Le village possédait alors une gare ferroviaire à Arpiat et dont la ligne (compagnie Paris-Orléans) reliait Bort-les-Orgues à Monestier-Merlines jusqu'à la mise en eau de la retenue du barrage de Bort et l'immersion de la voie le 1er mars 1951.

Singles est dénommé Cengles (1075-1095), Cingulis (1096) puis Cingles (1789). L'église romane Saint-Nazaire est citée dès 1075 comme ayant été donnée au prieuré de Sauxillanges par Géraud DE LA TOUR ; elle a par la suite été remaniée au XIIIème siècle et conserve une vierge du XIVème siècle qui était déposée l'été dans une niche aménagée devant un autel en pierre d'une chapeloune proche. L'église détient également une copie réalisée par LAYRAUD, grand prix de Rome, de "la mise au tombeau du Christ" de CARAVAGE. Un prieuré, fondé par les Bénédictins de Sauxillanges au XIème siècle, a existé jusqu'à la Révolution.

TARDIEU indique que le seigneur de Singles, Guyot de DOHET ou DOUHET fut fait prisonnier à la bataille de Poitiers en 1356 et emmené avec le roi Jean en Angleterre. En 1682, Louis XIV autorisa par lettres-patentes l'exploitation des mines de plomb argentifère et autres qui se trouvaient dans la paroisse de Singles (notamment à Joursac). Quant à la houille, elle était extraite à faible rendement à La Guinguette, Mouilloux et Plagne, localités situées sur le bassin houiller allant de Decize (Nièvre) à Decazeville (Aveyron) en passant par Saint-Eloy-les-Mines, Puy-Saint-Gulmier, Messeix et Champagnac. Serre était l'ancien fief de la famille Murat de Rochemaure  du XVIème au XVIIIème siècle puis de Joseph ROUSSILLON, chanoine de la cathédrale de Clermont. À noter l'existence d'une mystérieuse pierre sculptée du XIème siècle dans le bourg ainsi que de la roche Mandrin qui aurait été le repaire de ce célèbre contrebandier au XVIIIème siècle.

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En 1939, la commune de Singles est composée d’un bourg excentré peuplé d'environ 80 habitants et de 520 autres habitants dispersés dans une vingtaine de hameaux, dont les plus peuplés sont Serre, La Guinguette, Joursac, Gioux, Plagnes et Perret, sur environ 20 km2. Les principales ressources sont alors l’exploitation des mines de charbon, l’agriculture et la sylviculture.

Suite à l’occupation de la zone libre le 11 novembre 1942 puis à la création du Service du Travail Obligatoire (S.T.O.) le 16 février 1943, la Résistance se développe en Auvergne, région dont on estime le nombre de maquisards à 800 à l’automne 1943 ; le canton de Tauves fait partie de la future zone F.F.I. n°3 dont le chef civil est un docteur de Bourg-Lastic, Willy MABRUT, membre des Mouvements Unis de la Résistance (M.U.R.) de la région 6 (Auvergne) dont le Puy-de-Dôme est alors dirigé par le futur « Colonel GASPARD » : Emile COULAUDON.

Jusqu’à présent, l’attitude des maires et des gendarmes du canton à l’égard des résistants apparaît comme bienveillante mais la vie de la commune de Singles et de son maire Léger FOURIS vont prendre une tournure tragique le mercredi 13 octobre 1943 avec la venue de la police allemande (S.D.) de Vichy dans la région de Messeix et de Singles suite à une dénonciation.

Octobre 1943 est un mois où les opérations de répression menées par les polices françaises et allemandes s’intensifient en Auvergne. Le chef du KdS de Vichy, le hauptsturmführer S.S. Hugo GEISSLER se forge une sinistre réputation avec les exactions commises par le Sonderkommando du S.D. de Clermont-Ferrand et de Vichy. Le 1er octobre, 32 militaires de l’Etat-major de la 13ème région à Clermont-Ferrand sont raflés par les membres de ces unités ; Le commandant de la compagnie de gendarmerie du Puy-de-Dôme, le chef d’escadron Antoine FONTFREDE, est arrêté avec les principaux chefs régionaux de l’Organisation de Résistance de l’Armée (O.R.A.). Le 10, André AALBERG alias « Jean-Louis », chef du réseau Mithridate pour la zone sud, est grièvement blessé lors de son arrestation à Clermont-Ferrand. Le réseau est démantelé au cours des semaines suivantes. Sont arrêtés le 22 à Rochefort-Montagne l’agent « retourné » Georges MATHIEU et le 26 le responsable des M.U.R. pour la ville de Clermont-Ferrand Nestor PERRET. Ce nouveau fait d’arme entraîne une réaction de vengeance de la part de la Résistance avec une recrudescence des coups de main, des attentats et des exécutions de collaborateurs.


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Fin septembre 1943, le groupe « Pierre », un maquis dissident de l’Armée Secrète (A.S.) de Haute-Corrèze, quitte Touves (19) afin de rejoindre les maquis d’Auvergne. Il s’installe successivement dans une fermette de Gioux, puis une ferme de Paillonnet et enfin dans une maison isolée de Perret. Ce groupe se compose d’une quarantaine de maquisards vêtus de blousons et de canadiennes provenant des chantiers de jeunesse. Par ailleurs, leur chef a déjà des contacts avec des habitants et deux gendarmes de la brigade de Tauves. Léger FOURIS met cependant en garde « Pierre » à l’égard du président communal de la Légion Française des Combattants qui ne jouit pas d’une bonne réputation à l'égard de la Résistance…

Au cours de leur séjour à Singles, les maquisards organisent un défilé dans le bourg et déposent devant le monument aux Morts situé à La Guinguette une gerbe de fleurs portant une pancarte sur laquelle est inscrit l’hommage « L’armée de la Libération à nos camarades de 1914-1918. Le maquis corrézien » sous les applaudissements des témoins. Cet événement est d’ailleurs l’occasion de réunir la municipalité et la population autour d’un vin d’honneur. Les maquisards rendent service à cette dernière en aidant par roulement au ramassage des pommes de terre ; en contrepartie, Léger FOURIS améliore leur ordinaire en leur livrant quelques litres de vin.



Mais la présence d’un tel groupe ne peut longtemps rester discrète… d’autant que des cadres et des jeunes déserteurs alsaciens affectés au groupement 22 des Chantiers de jeunesse de Messeix sont également suspectés d’entretenir des contacts avec les maquis. Depuis septembre 1943, les locaux, effectifs et matériels des Chantiers sont sévèrement contrôlés par les autorités d’occupation. Avec l’accroissement du nombre de réfractaires au S.T.O., les magasins des groupements sont fréquemment visités afin que les maquisards revêtent des uniformes, en l’espèce la tenue de travail vert forestier. Cette situation renforce ainsi la méfiance des allemands à l’égard de cette organisation et provoque de fréquentes confusions entre maquisards et jeunes des Chantiers. Le groupement de Messeix sera le premier Chantier visé par une rafle allemande de grande envergure.




Dans l’après-midi du 12 octobre, un « mouchard » du Fliegerhorst-Kommandantur A 222/XII d'Aulnat survole en rase-mottes les villages de La Guinguette et de Perret. Inquiétés par ce vol, les maquisards reçoivent le même jour confirmation de la mise en œuvre d’une opération d’envergure à leur encontre. En effet, deux jeunes hommes venus de Vichy en train et conduisant des vélos sont arrêtés près du campement. Ils reconnaissent rapidement être venus afin de repérer les lieux en échange de leur liberté par la milice. L’alerte est donnée et le groupe « Pierre » quitte les lieux au cours de la nuit en direction de Larodde.


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Malgré l’approximation des heures données par les témoins, le déroulement des faits suivants nous est connu grâce à l’ouvrage des abbés THIEL et GRANGE, « Singles et les paroisses avoisinantes », et aux archives des deux enquêtes judiciaires ouvertes après la Libération concernant l’arrestation de Léger FOURIS.

Le 13 octobre 1943, vers 4 heures, deux colonnes composées de motos, de camions et de véhicules légers blindés allemands se dirigent vers Messeix et Singles par les routes nationales 89 (Bourg-Lastic) et 122 (Tauves).

Des éléments de la première colonne inspectent l’école de Messeix où est alors en poste au cours complémentaire Alfred PABIOT puis prennent possession des baraquements du groupement 22. Les autres éléments établissent à partir de 5 heures des barrages au sud de Messeix et contrôlent les identités des habitants, notamment des ouvriers en route pour les mines. Averti par Charles FEDERSPIEL, André FRANC court cacher chez Charles DALAN à Messeix des tracts provenant d’un parachutage allié. Les deux résistants, maquisards de la trentaine de VEDRINE dit « Itou », décident de quitter Messeix mais ils rencontrent en cours de route des soldats allemands. Faisant mine de ramasser des pommes de terre, ils sont interrogés puis conduits par camion jusqu’à deux autres prisonniers : Joseph MECMAYER et Pierre BOUTIN. Arrêtés sans motif connu, les quatre hommes sont gardés alignés au garde-à-vous jusqu’à 11 heures puis conduits à la prison militaire du 92ème régiment d’Infanterie de Clermont-Ferrand après un détour à celle de Riom.

À Savennes, les soldats allemands achètent quelques objets dans le débit de tabac de Mme GIRAUD-BERTRAND. Après leur départ, celle-ci constate le pillage de sa boutique par la troupe de passage.

Concernant le groupement 22, les jeunes installés dans les baraquements isolés de la gare de Savennes sont prévenus vers 4 ou 5 heures par un appel téléphonique d’un assistant du groupe 2 de Savennes du passage des soldats allemands sur le plateau de cette localité. Cependant, ces derniers ont connaissance de cet appel et de la fuite de nombreux jeunes vers les gorges de la Dordogne. Les groupes implantés entre Savennes et Singles ayant reçu l’ordre de se cacher dans ce secteur, les troupes allemandes se dirigent vers eux et font feu à la vue de leur tenue vert forestier, blessant grièvement deux ou trois jeunes dont Camille GERRIET et Roger TULLARS du groupe 5 ; les soldats interdisant de leur porter secours, ils ne seront transportés et soignés à la Polyclinique de Clermont-Ferrand qu’après le départ des allemands de la région à 16 heures. 180 cadres et jeunes des groupes 5, 6 (La Randonnière à Savennes), 7 (Pradelles à Savennes) et 9 (La Biscomtée à Messeix) sont arrêtés. Des soldats poursuivent par ailleurs leurs recherches en voiture jusqu’en Corrèze au lieu-dit des Sauvettes sur la commune de Saint-Etienne-aux-Clos.

Les prisonniers seront internés dans des conditions très dures à la caserne d’Assas de Clermont-Ferrand puis contraints à des travaux de terrassement au camp d’aviation d’Aulnat. Ils seront détachés le 20 novembre 1943 par chemin de fer au groupement bleu du camp de Virevialle (19) commandé par le chef DESVERNOIS grâce à l’intervention personnelle du commissaire général des Chantiers de jeunesse, le général Paul DE LA PORTE DU THEIL. Le 21 novembre, 55 jeunes du contingent de mars 1943 et 10 inaptes seront renvoyés à Messeix pour être libérés au terme de leur stage légal de 8 mois. Les autres resteront affectés à la manufacture d’armes de Tulle au titre du service de la production industrielle jusqu’en juin 1944 ; la plupart d’entre eux seront otages de la 2ème S.S. Panzerdivision « Das Reich » et 17 seront requis pour inhumer, sous la bénédiction de l’abbé ESPINASSE, les 99 pendus du 9 juin 1944. Enfin, certains profiteront d’une permission pour quitter la région.

Quant à la deuxième colonne, celle-ci vient par Tauves et se déplace en direction de Singles par la route départementale 29.

À 6 heures, une quarantaine de soldats allemands encercle les villages de Péressanges et de Perret tandis qu’un groupe se dirige directement vers la ferme occupée jusqu’à présent par le groupe « Pierre ». Trouvant les lieux abandonnés, les soldats auraient alors tiré des coups de feu en l’air afin d’effrayer les habitants. Les portes sont défoncées à coups de crosse et de brodequin avant que la population de Perret ne soit rassemblée dans le pré de Jean-Baptiste RAUCHE. Tandis que les habitants attendent pendant plusieurs heures en ce lieu, les soldats, dont le chef semble parler couramment français, perquisitionnent les maisons en vidant les tiroirs et en jetant les objets au sol. Certains habitants se voient suspectés d’appartenir à la Résistance en raison de la couleur verte de leurs vêtements ou de la détention de mèches d’explosif provenant des mines de charbon. Diverses armes de chasse sont découvertes et saisies par les allemands dans des granges.

Perret est également le théâtre de l’exécution d’un habitant au cours de l’opération : Michel GUILLAUME, son épouse Anne, Ernest, sa sœur Marie (dont le mari, André ROUX, est prisonnier de guerre en Allemagne) et son neveu Fernand demeurant à l’écart du hameau, deux soldats se rendent en courant vers leur ferme et entrent dans la pièce commune. Là, ils déplient un plan de la région et demandent au chef de famille où se trouve le refuge des maquis. Répondant que les hommes du maquis ont quitté le pays depuis quelques jours, Michel GUILLAUME ajoute ignorer complètement leur refuge actuel. Les soldats lui demandent alors si tel lieu est bien une maison. Malgré un « oui » incertain de M. GUILLAUME, les soldats quittent les lieux et se dirigent vers une dépendance située à dix mètres de la ferme et occupée par Ernest GUILLAUME. Là, ils forcent une serrure et cassent plusieurs vitres et tuiles à coups de mitraillette. Affolés par le crépitement de la rafale, la famille GUILLAUME tente de sortir de sa ferme mais est refoulée par plusieurs soldats. Lorsque la fusillade cesse, Michel et son fils Ernest GUILLAUME sont réunis et conduits hors de la ferme mais, craignant d’être fusillé, ce dernier saisit et jette le fusil d’un soldat avant de prendre la fuite à travers champ. Il est abattu de deux balles dans la nuque et le ventre à 300 mètres de la ferme de ses parents. L'un des soldats achève le malheureux en lui enfonçant le crane avec la crosse de son fusil.

Au même instant, Jean DUBOIS rejoint les habitants puis, de peur également d’être fusillé, cherche à s’enfuir, les mains en l’air, à travers champs. Suite aux sommations, une sentinelle tire plusieurs rafales de mitraillette dont une balle traverse le cou de M. DUBOIS de part en part. Il sera conduit vers 10 heures 30 par Jean BRUGIERE, du village voisin de Péressanges, à Tauves où il pourra être soigné par le docteur Jean GODONNECHE.

Vers 7 heures, Michel GUILLAUME rejoint les autres habitants de Perret tandis que son épouse Anne et sa fille sont interrogées par les soldats qui leur demandent si elles ont caché « des hommes au pantalon vert ». Les 29 habitants de Perret, adultes ou enfants, sont également questionnés quant à la présence des maquisards dans la région. Les enfants de la famille AUBERT sont d’ailleurs alignés contre un mur et menacés lors de leur interrogatoire par un soldat armé d’un fusil.

Au terme des perquisitions vers midi, trois agents du S.D. en civil, encadrés par deux soldats allemands, surgissent dans le village. Sont alors réquisitionnés par un soldat Eugène VERGNOL, cultivateur à Perret, et la famille d’Ernest GUILLAUME afin d’enterrer celui-ci sur les lieux de son meurtre. Indigné par cet ordre, l’un des hommes chuchote en patois « Laissons le dire et attendons qu’il soit parti » ; le corps est finalement transporté jusqu’à la ferme familiale.

En début d’après-midi, le détachement, parfaitement renseigné, descend à La Guinguette où ils découvrent et saccagent la gerbe déposée par « Pierre » devant le monument aux Morts. Les habitants sont questionnés par les soldats et les hommes en civil. Au prétexte de rechercher le maire, ceux-ci fouillent les maisons. Huit allemands dont deux en civil se rendent également chez Léger FOURIS dont la maison se situe sur la route d’Arpiat ; là, ils y trouvent son épouse et ses deux filles. Quelques heures auparavant, Léger FOURIS avait pu être prévenu de la présence des allemands sur la commune par le directeur des mines de Singles VERGNOL ; ce dernier lui proposera de se cacher dans l'un de ses puits mais Léger FOURIS refusera par crainte des représailles envers sa famille et la population.

Antonine FOURIS déclare aux indésirables que son époux est parti à la mairie pour une réquisition. Après avoir exigé que le maire se présente à eux, ils partent en voiture en direction de la gare d’Arpiat avant de revenir au domicile de Léger FOURIS à La Guinguette. Des soldats descendent alors du véhicule et menacent son épouse d’être fusillée avec ses filles et d’incendier sa maison si elle ne retrouve pas immédiatement le maire ou s’il ne se constitue pas prisonnier. La perquisition de la maison conduit à la découverte de munitions de guerre de type Lebel conservées ici depuis plus de quinze ans, relique de l’époque où Léger FOURIS était président de la société de tir communale « La Joyeuse ». Des fusils Lebel destinés au concours de tir à l'occasion des fêtes patronales étaient également trouvés dans la cheminée du logement.

Entre temps, deux agents du S.D. et un soldat poursuivent leur route vers la mairie où ils se présentent vers 15 heures. Le soldat, armé d’une mitraillette, et les deux policiers allemands sont reçus par l’institutrice et secrétaire de mairie, Gabrielle LELEU ; l’un d’eux menace alors d'incendier l’école après avoir remarqué l’absence du portrait du maréchal PETAIN. En revanche se trouve encore en bonne place le buste de la Marianne républicaine.




C’est à ce moment que Léger FOURIS arrive chez lui par un sentier. Il est aussitôt contrôlé, conduit dans sa chambre au 1er étage, interrogé et brutalisé. Accusé d’avoir aidé des « terroristes » en leur procurant du vin, il est notamment frappé à coups de crosse de fusil dans la nuque en montant l’escalier. Au terme d’un interrogatoire sommaire mais musclé, ses bourreaux demandent à son épouse de lui remettre une veste avant son départ.

Au cours de l’après-midi, à Serre, des soldats allemands arrêtent et brutalisent également l’exploitant forestier et ancien combattant de la Grande guerre Jean RANVIER, accusé d’avoir aidé des terroristes.

Léger FOURIS est amené dans la soirée au 10 rue Pélissier, la prison militaire du 92ème régiment d’infanterie, à Clermont-Ferrand. Les troupes allemandes quittent la région de Singles le lendemain.

Au cours de leur séjour à la prison militaire, Charles DALAN, Léger FOURIS, André FRANC et Jean RANVIER sont questionnés sur l’organisation de la Résistance locale. Brutalisés, ils gardent pourtant le silence. Léger FOURIS partage sa cellule dans le bâtiment H1 avec Gaston VALDENER, coiffeur à Yssingeaux.

Au bout de 45 jours d’emprisonnement et avec la complicité du chef de groupe Gilbert MOCHON, cadre du groupement 22, Léger FOURIS, Charles DALAN, André FRANC et Jean RANVIER tentent de s’évader de la caserne d’Assas par un soupirail. Seul le dernier parvient à ses fins avant que les sentinelles ne remarquent son évasion ; il sera atteint de quatre balles au cours de sa fuite.

Le 15 décembre 1943, Léger FOURIS est transféré au camp de Royallieu-Compiègne (60) où il est immatriculé sous le numéro 21 537. Il y retrouve ses compagnons de détention avant d’être déporté au camp de concentration de Buchenwald par le convoi ferroviaire du 19 janvier 1944.




Léger FOURIS y reçoit le matricule 40 470 et est affecté au petit camp (block 57, 61 puis 63). Souffrant de phlegmon à une jambe, il est envoyé à l’infirmerie du camp à partir de mars 1944. Il y décède le 16 juin 1944 d’une pleurésie.

Au cours de sa captivité, une démarche en date du 6 avril 1944 sera adressée aux autorités afin d'obtenir sa libération. Antonine FOURIS recevra quelques mois plus tard une carte écrite en allemand indiquant que son époux aurait favorisé des terroristes en leur vendant du vin et en leur « ayant permis de faire la bombe ». Il sera également reproché à Léger FOURIS d’avoir autorisé le dépôt de la gerbe de fleurs des maquisards devant le monument aux Morts de la commune.


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L’après-midi du 14 octobre 1943, Ernest GUILLAUME est inhumé en présence d’une assistance fort nombreuse et indignée par la conduite de l’occupant à Singles. « Pierre » et six de ses maquisards présentent les armes au passage du cercueil à l’entrée de l’église. L’un d’entre eux dépose sur la tombe du martyr une croix de Lorraine en bois.

En l’absence du maire, Marcel VERGNOL est nommé président de la délégation spéciale. Représentant de la Résistance dans la commune, il est désigné président du Comité Local de Libération de Singles par le Comité Départemental de Libération (C.D.L.) du Puy-de-Dôme en septembre 1944 avant d’être élu maire le 13 mai 1945 et ce, jusqu’en 1949. Son adjoint sera Marcel VEDRINE, cultivateur du village de Plagnes.

Dans une lettre en date du 27 décembre 1944, Marcel VERGNOL informe Jean CURABET, président du C.D.L. du Puy-de-Dôme, de l’existence de bandes de voleurs masqués sur l’étendue du canton de Tauves. Suite au cambriolage à Perret de la maison de la mère de Léger FOURIS dans la nuit du 18 au 19 novembre 1944, le président du C.L.L. de Singles réclame auprès du président du C.D.L. l’attribution d’une motocyclette au profit des gendarmes de la brigade de Tauves :

« Mon cher camarade,

Suite à un vol qui a eut lieu dans ma commune dans la nuit du 18 au 19 novembre 1944 chez Mme veuve [Antoinette] FOURIS et son petit-fils [Jean FOURIS] (mère et fils de M. FOURIS maire, arrêté et déporté en Allemagne) ainsi que chez Mme et M. [Louise et Jean] DUBOIS, tous domiciliés à Perret dans cette commune, malgré toute la vigilance qu'a montré l'active brigade de gendarmerie de Tauves (chef-lieu du canton), il a été très difficile de retrouver trace des voleurs.

Le canton de Tauves est très accidenté et d'une grande superficie. Dans des cas semblables, la brigade de gendarmerie à pied ne peut rien. Le déplacement aussi rapide soit-il ne permet pas d'arriver sur les lieux assez vite pour obtenir un bon résultat. Je vous serai très reconnaissant d'intercéder auprès du CDL et de M. le Préfet pour que l'on accorde (comme avant guerre) une moto à cette brigade, cela sera pour eux une possibilité de mener rapidement dans des cas analogues à ceux cités leur enquête et certainement des résultats aboutirons immédiatement, ce qui sera une sécurité également pour la population.

J'espère que vous comprendrez facilement ma requête formulée dans un but d'épuration car ces gens masqués doivent être arrêtés ; d'autre part, la brigade de Tauves a nécessairement besoin de cette moto vu l'étendue du canton.

En vous priant de croire à mes remerciements, trouvez ici l'expression de mes sentiments fraternels les meilleurs. »

En mai 1945, une messe est célébrée à la mémoire de Léger FOURIS en présence de nombreuses délégations des communes environnantes. Un cortège se rend ensuite au monument aux Morts où, suite à un émouvant discours, est déposée une plaque commémorative en marbre blanc témoignant encore aujourd'hui du sacrifice d’un maire pour ses administrés.

Le 14 octobre 1945, un hommage est rendu à Ernest GUILLAUME au cours duquel un monument érigé à sa mémoire par souscription publique est inauguré à Perret. Le maire Marcel VERGNOL, le conseiller général Claude BERNARD et le maire de Tauves Paul BOYER soulignent dans leurs discours l’innocence de la victime et la barbarie de ses bourreaux.



Le 14 septembre 1946, la dénonciation des convictions politiques du maire de Singles par la Légion Française des Combattants en 1943 est révélée dans un article du journal de la Résistance « Le M.U.R. d’Auvergne » sous la rubrique « Rumeurs des villes et des campagnes ».



Avec le texte ci-dessous sont publiées trois lettres adressées par le comité local de la L.F.C. au responsable départemental Gilbert SARDIER en décembre 1942 et courant 1943 :

« Pourquoi conserve-t-on autant de vers dans le fruit de France ? …

disait, parlant de M. FOURIS, maire de Singles dans son rapport à M. Gilbert SARDIER,

le délégué à la propagande de la légion de cette commune

et M. FOURIS, arrêté et déporté, est mort à Buchenwald le 18 juin 1944 !


Les jours passent, l’oubli vient…

Et pourtant, des Français sont morts là-bas en déportation, par la trahison d’autres Français.

Les documents que nous publions et dont nous avons eu communication, dépeignent assez bien jusqu’où pouvait aller l’aveuglement partisan chez les dirigeants de cette légion de Pétain dans laquelle s’étaient laissé entraîner, au début, tant de braves gens naïfs ou sincères qui avaient pu croire au double jeu du maréchal félon et qui pensaient vraiment que celui-ci voulait seulement le rassemblement des anciens combattants des deux guerres.

Ces documents se passent de commentaires, n’est-il pas vrai ?

Lorsqu’on lit « pourquoi conserve-t-on autant de vers dans le fruit de France ? » sous prétexte que la personne citée « admire les Blum, Briand, Staline », on peut penser que le signataire de la lettre admirait, lui, les Hitler, Mussolini et leurs agents en France ?

Lorsque pour accabler un homme, on l’accuse de montrer que l’œuvre entreprise par le « vénéré chef » ne peut vivre, il semble que le dénonciateur soit pour sa part un fanatique du régime de trahison et de collaboration avec l’ennemi héréditaire qui, deux fois en vingt ans, mit la France à feu et à sang.

Ils ont obtenu le résultat escompté, ces messieurs bien pensants : « le ver a été extirpé du fruit de France ; M. FOURIS est allé expier ses forfaits dans les bagnes nazis. Il est mort ! ». Soyez fiers de votre œuvre, courageux délateurs, professeurs de vertu, modèles de patriotisme.

Et ne soyons pas trop surpris que les chefs de cette belle organisation de mouchardage soient aujourd’hui libres.

La justice a été rendue… M. Gilbert SARDIER est libéré après accomplissement de sa peine… M. LACHAL serait lui aussi libéré et ferait le courtier en liqueurs pour le compte d’un collaborateur dont nous aurons à parler prochainement.

Mais les nôtres sont morts, bien morts ! ».

En application de l’article 3 de l’ordonnance n° 452 561 du 30 octobre 1945, l’acte de décès de Léger FOURIS est dressé le 23 septembre 1947 par l’officier d'état civil au ministère des Anciens Combattants et Victimes de Guerre.

En 1948, la population de Singles rend un ultime hommage à son ancien maire par une souscription publique permettant l’édification d’un monument se dressant encore aujourd’hui à proximité du carrefour de La Guinguette. Cette même année est érigée une croix en bois (disparue depuis) en bordure du pré où a été abattu Ernest GUILLAUME.




Léger FOURIS était titulaire de la carte du combattant 1914-1918 et de la carte de déporté-résistant par décision ministérielle du 3 février 1953. Une pièce de son dossier individuel conservé au Service Historique de la Défense à Vincennes mentionne qu'il « a hébergé les maquisards de passage ; a fourni en qualité de maire toutes attestations et pièces d’état-civil aux réfractaires au STO (fausses pièces). A accompli en tant qu’agent de liaison des missions dangereuses entre les formations régionales de résistants de juin 1940 au 13 octobre 1943 ».

Pour sa part, le président du comité local de libération de Singles, Marcel VERGNOL, attestait à son sujet, dans une lettre en date du 18 mars 1952 et conservée au Service Historique de la défense à Caen, que son prédécesseur était « animé d'un sentiment républicain pur, a aidé, logé, au mépris du danger les mouvements de résistance, particulièrement le groupe stationné sur le territoire de la commune (lieutenant Pierre). Dénoncé, malgré plusieurs enquêtes, aucun responsable n'a pu être atteint. Je déclare hautement que Léger FOURIS a été un grand Français ». Dans une autre attestation en date du 10 février 1947, Marcel VERGNOL avait déjà affirmé que Léger FOURIS « avait facilité en toute chose le groupe de résistance qui avait stationné sans la commune » et qu'il « avait été dénoncé par des légionnaires fidèles à PETAIN et LAVAL – enquête de la P.J. dans le courant de l'année 1946 – inspecteur de la Brigade de Clermont-Ferrand monsieur TERRADE ».

Dans ce même dossier conservé à Caen, une attestation en date du 19 avril 1952 co-signée par Emile COULAUDON, Gabriel MONTPIED confirmait que Léger FOURIS « faisait partie de la Résistance comme agent de liaison et logeait, au mépris du danger, les maquisards de passage dans sa commune » et que « C'est sans doute à la suite d'une dénonciation qu'il fut arrêté par la Gestapo ».

La médaille militaire, la médaille de la Résistance et la croix de guerre 1939-1945 avec palme lui ont été attribuées à titre posthume par décret en date du 11 juillet 1958. À la demande de l'auteur, il a récemment été déclaré « Mort pour la France » et « Mort en Déportation ».


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Plusieurs hypothèses quant à l’auteur de la dénonciation des résistants de la région ont été formulées. Il apparaît cependant avec certitude que l’opération a été décidée par le KdS de Vichy avec la participation du kommando spécial du S.D. vichyssois dirigé par Jany BATISSIER.

Bien que l’effectif du groupe « Pierre » ai pu être majoré par le dénonciateur, les témoignages de l’époque font également état de la présence de 2 000 soldats sur un secteur de 20 km2. L’ordre d’informer délivré par le général commandant la 8ème région militaire le 16 octobre 1946 du chef de meurtres non justifiés par les lois et les usages de la guerre vise ainsi les militaires allemands du S.D. de Clermont-Ferrand (dirigé par TOROCK) et de Vichy, d’un bataillon d’instruction de la 189ème division d’infanterie stationné à Riom et de plusieurs éléments de la Luftwaffe d’Aulnat (sous les ordres du colonel ETZAR et du major Franz BAMBACH).

Par ailleurs, les rares archives conservées dans les dépôts publics établissent que Léger FOURIS et son conseil municipal faisaient l’objet d’une surveillance attentive de la part de la Légion Française des Combattants. En effet, à partir de décembre 1942, le délégué communal à la propagande de la Légion puis le président local de cette organisation dénoncent dans plusieurs lettres le maire et son conseil municipal au président départemental Gilbert SARDIER :

« Légion Française des Combattants

Section de Singles

Singles, le 8 décembre 1942,

Monsieur Gilbert SARDIER

Président départemental de la Légion des Combattants

Clermont-Ferrand

Monsieur le président,

En ma qualité de légionnaire, ancien combattant, délégué communal à la propagande, je vous adresse inclus copie d’une correspondance échangée avec M. le maire de Singles ainsi que copie d’une lettre que j’adresse ce jour à M. le préfet du Puy-de-Dôme.

Pour compléter votre opinion, j’affirme sous la foi du serment que M. le maire de Singles, S.F.I.O., est un admirateur passionné des Blum, Briand, Staline et consorts, absolument opposé à l’œuvre de rénovation entreprise par notre vénéré chef, le maréchal PETAIN.

Pourquoi conserve-t-on autant de vers dans le « fruit de France ? » Il me semble qu’une enquête rapidement et discrètement menée auprès des éléments légionnaires sains, dans la commune et particulièrement auprès du président communal M. R..., devrait être concluante sur la moralité de cet individu.

Il y a à Singles des éléments sains qui pourraient accepter la délégation.

Je fais appel à vos sentiments de justice et d’équité que je sais grands pour donner à cette lamentable situation la suite qu’elle comporte et je vous adresse Monsieur le président mon salut fraternel et légionnaire. 

Le délégué communal à la Légion de Singles »


« Légion Française des Combattants

Section de Singles

Singles, le 19 décembre 1942,

Monsieur Gilbert SARDIER

Président départemental de la Légion des Combattants

Clermont-Ferrand

Mon cher président,

Je réponds à votre lettre du 12 courant me demandant quelques renseignements sur le maire de Singles.

Certes c’est un bien drôle de légionnaire.

J’en avais déjà parlé au docteur GRASSET au début de la formation de la Légion.

Remplissant les fonctions de légionnaire combattant, il cache sous cette étiquette sa vraie figure S.F.I.O. où sous l’ancien régime, il avait prit en main les jeunes, faciles à convaincre, ceux qui aujourd’hui ne viennent pas à nous. Il est là, leur montrant que l’œuvre entreprise par notre vénéré chef ne peut vivre (certes cela se passe dans le huis clos).

Il reste bien entendu un admirateur des dirigeants du régime défunt, « un esprit malin ». Voici tout ce que je peux vous informer avec impartialité.

Croyez, mon cher président, à nos sentiments très légionnaires. 

Le président communal de la Légion de Singles »

Ces deux courriers restant sans effet majeur, une nouvelle lettre est adressée par le comité local au président SARDIER en 1943 :

« Nous rencontrons de très grandes difficultés dans la commune de Singles au sujet du redressement que nous désirons obtenir. Jusqu’à ce jour, nous avons l’impression que l’œuvre de redressement nécessaire et fort désirée par le chef de l’Etat est contrecarrée par FOURIS, maire de Singles.

Nous lui reprochons de garder ses idées communistes et de manœuvrer les jeunes contre les idées saines. Plusieurs hommes sensés et loyaux sont de cet avis.

D’autre part, il y a eu chez M. le maire qui tient un restaurant un bal qui a pris fin au petit jour et cela deux dimanches consécutifs.

Si nous n’obtenons aucun résultat dans nos récriminations, nous désespérerons de faire quelque chose et nous serons persuadés que le Gouvernement est incapable ou bien ne veut pas agir.

Donc, dans ce cas, il perd notre confiance, la confiance des hommes de bonne volonté, des élites. »

Au sujet de la Légion Française des Combattants, les archives départementales conservent pour chaque commune les listes des « légionnaires » et des « volontaires de la Révolution nationale ». Ainsi, on dénombre pour la commune de Singles 41 adhérents en 1942 dont le maire Léger FOURIS, ancien combattant de la Grande guerre.




Selon le maire Marcel VERGNOL dans une lettre du 10 février 1946, le délégué communal à la propagande de la Légion aurait dénoncé la municipalité auprès du gouvernement de Vichy au printemps 1943 comme s’agissant d’un conseil « communiste, briandiste, blumiste… ». Dans une autre lettre du 25 mars 1946, le maire rapporte également l’existence d’une missive de cet individu aux termes ambigus en date du 30 janvier 1944 et adressée à la fille aînée de Léger FOURIS :

« Paris (VIII°) 30 janvier 1944

Ma chère Raymonde,

Il me serait pénible que tu puisses supposer une seconde que je n’ai pas tenu la promesse que je t’avais faite. Quels que soient les dissentiments que j’ai pu avoir avec ton pauvre papa, je tiens encore à te redire que je le considère quand même comme un homme injustement puni par un concours malheureux de circonstances, qui ne mérite pas le sort qui lui est fait. Voici trois visites que je fais à son sujet, sans résultat immédiat, tout au plus m’a-t-on promis de revoir et reconsidérer son dossier.

Je conserve quand même l’espoir de le tirer de là et ai même promis une caution si satisfaction m’était donnée. Je te tiendrai au courant du suivi. Pour éviter toute interprétation à mes lignes, dans un pays où la langue des gens est la plus dangereuse des choses, je te demande de ne communiquer ma lettre qu’à ta maman et à tes frère et sœur.

Je pense que vous avez des nouvelles régulières de papa et qu’il peut arriver à améliorer sa situation grâce à vos colis.

Dis, je te prie, mes hommages à ta mère et crois, ma chère Raymonde, à mes sentiments affectueux et dévoués. »

Ce soupçon ne pourra jamais faire l’objet d’une enquête approfondie, le service de recherche des crimes de guerre ennemis n’ayant pas compétence sur les agissements des nationaux sous l’Occupation. Cependant, un fait connexe impliquant le groupe « Pierre » semble étayer cette version.


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Concernant le groupe de maquisards « Pierre », celui-ci continuera d’être traqué après son étape tragique à Singles. Un rapport de la brigade de gendarmerie de Tauves indique ainsi que les militaires de cette unité sont préoccupés par l’activité des réfractaires dans les bois de Puy-Derrière à l’est de Larodde. Par ailleurs, ils rapportent que les opérations menées à Singles le 13 octobre 1943 n’ont donné aucun résultat car les gens parlent avec réticence et disent ignorer le refuge des maquisards. Le 23 octobre, un maquisard du groupe de nationalité polonaise, Téofil STACHERSKI, alias « Théophile », meurt d’une péritonite à Puy-Derrière à l’âge de 23 ans. Par la suite, le groupe se scindera en plusieurs bandes dont certaines retourneront en Corrèze. Des éléments du groupe resté fidèle à « Pierre » réalisent plusieurs coups de main dans la région tels que le vol de carburant au garage Giraud à Saint-Sauves d’Auvergne et le cambriolage des mairies de Saint-Sauves et de Labessette le 27 octobre, d’une ambulance à La Tour d’Auvergne le 11 novembre et le cambriolage d’un bureau de tabac de Bagnols le 26 novembre.

Également, dans la nuit du 5 au 6 novembre, le groupe « Pierre » revient à Singles pour une « expédition punitive » selon les termes d'André KLEIN suite à la dénonciation du maquis qu'il impute à un membre de la L.F.C.. En pleine nuit, l’un des maquisards se présente comme inspecteur de la police judiciaire au domicile de l'épouse du délégué communal à la propagande de la L.F.C. ; l'homme étant accompagné d’une douzaine d’individus armés de mitraillettes, de revolvers et de grenades, l'épouse du dénonciateur refuse de les laisser entrer. Ceux-ci fracturent alors la porte, la menacent avec leurs armes et la frappent au visage à coup de crosse de revolver. Une partie du groupe profite de la confusion pour charger de victuailles une camionnette Citroën bâchée. Un porc, du mobilier, des vêtements ainsi que des bijoux sont dérobés et le préjudice total sera estimé à 596 200 francs de l’époque. Après une plainte auprès du procureur d'Issoire en février 1944 et la saisie du délégué spécial de Singles le 12 décembre 1944, la demande d'indemnisation présentée le 1er juillet 1952 à la direction départementale de la délégation à la construction et au logement fera l'objet d'un rejet, le requérant étant d'ailleurs défini « comme fort peu intéressant » et sa liste d'objets dérobés très exagérée tant en quantité qu'en valeur.

Le groupe « Pierre » sera finalement anéanti lors de l’opération menée par la police française et l’intendant Armand MAYADE au moulin du lac (Larodde) le 1er décembre 1943. Ce jour-là, les Gardes Mobiles de Réserve arrêteront cinq hommes qui seront déportés à Dachau ; cinq autres maquisards parviendront à fuir et à rejoindre les rangs du maquis de « Tonton » à Larfeuille (commune de Briffons). Quant à « Pierre », il disparaîtra dans des circonstances restées encore mystérieuses à ce jour.

La population de la région de Singles aura ainsi vécu des jours particulièrement tragiques et payé un lourd tribut face à la barbarie nazie. Malgré leur patriotisme et leur attachement à la liberté et à la démocratie, des hommes et des femmes auront été traqués et opprimés par des voisins sans scrupule complus dans l’aveuglement instillé par le gouvernement dit « de Vichy » et l’occupant.

Ironie de l’Histoire, c’est le 13 octobre 1943 que la Légion Française des Combattants, incarnation même du maréchalisme, rompra irrémédiablement les ponts avec Pierre LAVAL avec la proclamation d’un manifeste solennel dans lequel elle ne reconnaîtra plus que l’autorité exclusive du maréchal PETAIN. La réaction du chef du gouvernement sera immédiate ; n’obtenant pas la dissolution de la L.F.C., il supprimera son budget pour l'année 1944. Cet épisode ne sera qu’un prélude à la crise qui éclatera au sommet de l’Etat français avec l’écart croissant entre l’image que renvoient les préfets de la popularité de LAVAL et la dégradation de la confiance que lui manifestent les entourages pétainistes.

Afin que soit sauvegardé le souvenir des actions et du sacrifice des combattants pour la libération de la France, l’ensemble de la société, en particulier les jeunes générations, doit plus que jamais participer à la défense et à la transmission des valeurs démocratiques ayant motivé l’engagement de ces hommes et femmes ; cette participation doit se traduire par une prise de conscience collective de ses devoirs de citoyen, une vigilance de tous les instants contre l’intolérance et une recherche constante de la vérité historique. À sa modeste façon, cette biographie de Léger FOURIS est une contribution à l’égard de la citoyenneté, une qualité défendue avec tant d’abnégation par ce valeureux maire.

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SOURCES

La commune de Singles

Résistance en France

Résistance en Auvergne

Résistance en Corrèze Vidéographie Dépôts d'archives

Thibault FOURIS